La peur de vivre, par Véronique Rossignol, de Ghislaine Dunant

La peur de vivre, par Véronique Rossignol

24 août 2007
Livres Hebdo,

Ghislaine Dunant explore une dépression qui l'a terrassée il y a plus de trente ans.

"Je dirai donc seulement ici que la dépression se présente avant tout comme un effondrement énergétique, une sorte d'épuisement général qui affecte autant le physique que l'intellect et le moral." C'est ainsi que le philosophe Clément Rosset dans "Route de nuit. Episodes cliniques" ( Gallimard, "L'infini", 1999), décrit la maladie dont il a souffert il y a quelques années. A cet "effondrement", à ce "soleil noir" de la mélancolie, comme dirait encore Julia Kristeva, la romancière Ghislaine Dunant a elle aussi survécu. C'était il y a plus de trente ans, en 1973, " une année en partie recouverte de blanc". Pendant plusieurs mois, l'auteure de L'impudeur et de Cènes (parus chez Gallimard) a vécu l'enfermement dans la maladie, le quotidien désorienté entre les murs d'une clinique psychiatrique où les infirmiers de nuit portent des trousseaux de clés qui les font ressembler à des gardiens de prisons, l'angoisse d' être "défaite pour toujours", l'exploit "d'arriver à faire une journée".
Mais là où Claire Fercak (voir p.33), autour d'une expérience proche, imprime à son texte une énergie violente, Ghislaine Dunant, elle, a choisi la douceur, grâce sans doute aussi aux années qui la séparent de ses 23 ans. Pour autant, elle se dit elle-même surprise, frappée de la précision de ses réminiscences, de la persistance des sensations qui resurgissent, inaltérées. Elle revit ce moment où les forces abandonnent le corps et l'esprit   avec la soudaineté et la brutalité d'un K.-O., comme dans le film de Clint Eastwood, Million Dollar Baby, qui ouvre le livre et dont la vision a enclenché chez Ghislaine Dunant la mécanique rétroactive du souvenir.
Alors, sans tenter de les relire, sans y plaquer d'inutiles explications biographiques ou de verbeux diagnostics psychologiques, elle décrit avec netteté ces quelques mois de sa jeunesse où elle s'est tenue à l'écart des vivants. Sa visite du passé est dépassionnée, mais si le cuisant de la souffrance dépressive semble éteint, le temps a accentué sa dimension insondable. On peut presque toucher la substance du vide existentiel dont sont faites les journées, la singulière déstructuration de l'espace et du temps. Pèse toute la fatigue de prendre sa place dans la vie, de jouer son rôle, de vivre sa propre vie. Les jours semblables les uns aux autres, sans sens, sans fin, sans faim. L'absurdité des traitements administrés qui laissent le champ libre à la peur. " La chambre était un entonnoir. Le gouffre pouvait me happer. Je serai prise par le silence et le vide."
Puis vient " le jeune homme qui avait l'air fracassé sans ecchymoses ni blessures, fracassé de l'intérieur", mais qui, lui, " n'avait pas l'air d'avoir peur". Et, avec lui, la sortie de l'entonnoir.

Véronique Rossignol
Livres Hebdo, le 24 août 2007


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