Si c'est une femme, de Ghislaine Dunant

Si c'est une femme

01 septembre 2016
Lire,

Charlotte Delbo est cette femme qui a enduré « un long et terrible voyage ». Secrétaire personnelle de Louis Jouvet, elle est arrêtée en mars 1942 par la police française pour faits de résistance. Emprisonnée à la Santé, elle est transférée au fort de Romainville et déportée en janvier 1943 à Auschwitz. Où elle est restée douze mois et a survécu. Avant de passer seize mois à Ravensbrück et là encore d’en sortir vivante. En essayant de se reconstruire, elle a rédigé le premier des trois volumes, d’une trilogie mémorable, Auschwitz et Après. Le manuscrit d’Aucun de nous ne reviendra (Les Editions de Minuit), qui tient son titre d’un vers d’Apollinaire, elle l’a gardé secret pendant quinze ans avant de le soumettre à des éditeurs et de le voir publier.
Le remarquable ouvrage de Ghislaine Dunant éclaire une femme qui n’a jamais rien lâché et s’est toujours montré prête à batailler. La biographe et romancière explique avoir été soufflée par la force et la beauté de l’écriture de Charlotte Delbo avant de chercher à savoir qui elle était vraiment. Revoici la fille aînée d’immigrés italiens, la passionnée de littérature, lectrice de Faulkner et de Moravia inscrite au Mouvement des jeunes communistes. Celle qui tombe follement amoureuse de son futur mari, Georges Dudach, qui finira fusillé sans autre forme de procès. Celle qui s’intéresse à la philosophie d’Henri Lefebvre dont elle deviendra l’assistante au CNRS.
Celle qui est revenue d’un enfer où elle s’était promis de coucher son expérience dans un livre. Texte bouleversant donnant à voir « l’horreur du camp, la présence de la mort, la menace perpétuelle, la tragédie des convois qui arrivaient de toute l’Europe pour être exterminés, la douleur et la folie des agonisantes, donnant à sentir ses émotions et ses sensations depuis son corps et son cœur, elle, jetée avec ses compagnons et des dizaines de milliers de femmes de l’autre côté du monde », comme le dit si bien Ghislaine Dunant. Auschwitz, Charlotte Delbo ne le nomme pas dans Aucun de nous ne reviendra, elle l’appelle juste la « plus grande gare du monde ». Ce n’est pas un hasard si des années plus tard elle s’offrira une ancienne gare, petite celle-là, qu’elle transformera en maison de campagne. Louée soit Ghislaine Dunant d’avoir si bien retracé le parcours d’une combattante ayant passé sa vie à écrire « ce qui n’était pas concevable et qui fut ».
Alexandre Fillon

Article en pdf

haut de page