La vie retrouvée de Charlotte Delbo

03 octobre 2016
La République du Centre,

Elle l'appelait "la plus petite gare du monde". Accompagnant des amis qui voulaient acquérir une maison dans la région de Gien, Charlotte Delbo découvrit à Breteau ce bâtiment isolé, abandonné, qui deviendra en 1961 sa maison de campagne, son refuge.
Charlotte Delbo, qui fut la secrétaire de Louis Jouvet, résistante communiste, fut déportée à Auschwitz-Birkenau. Elle sera l'une des 49 rescapées du convoi du 24 janvier 1943, qui comptait essentiellement des déportées politiques. Après-guerre, six mois après son retour en France, elle commence à rédiger "Aucun de nous ne reviendra", qui ne sera publié qu'en 1965. Aujourd'hui, Charlotte Delbo, méconnue du grand public, est considérée comme l'un des auteurs majeurs du XX e siècle.
La romancière Ghislaine Dunant est l'auteur d'une riche biographie qui vient de paraître chez Grasset.

- Pourquoi avoir consacré un livre à Charlotte Delbo ?
Je pense que c'est mon livre le plus personnel. J'y ai mis tellement de ma sensibilité, de l'écho intérieur aux interrogations de Charlotte... En tant qu'écrivain et lectrice, j'étais face à un écrivain extraordinaire. Personne n'est allé aussi loin dans l'écriture qui parle de la douleur physique et morale. Avec son oeuvre, la beauté et la force de cette écriture, elle nous permet de ressentir les choses profondément humaines.

- Votre biographie consacrée à Charlotte Delbo est extrêmement riche. Elle se lit presque comme un roman. Mon projet n'était pas d'écrire une biographie. Je voulais avant tout faire connaîtreCharlotte delbo. Ce qui a été à l'origine de mon projet, c'est le constat qu'elle soit si peu connue. primo Levi ou Robert Antelme le sont, Charlotte, elle, est totalement méconnue. Il fallait que son écriture si puissante soit remise à la lumière. Mais je me suis aperçue que je devais déplier le contexte historique; l'apprendre... L'itinéraire de Charlotte Delbo, ce sont les années 1930, la vie intellectuelle de l'époque, la DeuxièmeGuerre mondiale, la guerre d'Algérie...

- En 1961, elle achète l'ancienne gare de Breteau. Un symbole fort que vous expliquez dans votre ouvrage.
Les proches de Charlotte que j'ai rencontrés me parlaient tous de Les proches de Charlotte que j’ai rencontrés me parlaient tous de la gare de Breteau, « la plus petite gare du monde », mais personne n’avait fait le rapport avec Auschwitz, que Charlotte nomme « la plus grande gare du monde » dans un texte. Elle s’est d’ailleurs attachée à faire revivre la mémoire des lieux, en laissant les bancs dans la grande salle par exemple. Les plus anciens parmi les habitants de Breteau venaient parfois la voir pour lui demander s’ils pouvaient s’y installer, comme par le passé. Charlotte ne se séparera jamais de cette gare, jusqu’à sa mort, en 1985.

- Dans votre livre, on découvre sa force de caractère et son amour pour la langue française. Ses parents étaient des immigrés italiens. Toujours, à la maison, on a parlé le français. A Ravensbrück, elle échangera un exemplaire du Misanthrope contre sa ration de pain quotidienne, une pièce qu’elle apprendra entièrement pour se la réciter pendant le long appel du matin, au camp… En août 1940, alors qu’elle accompagne Jouvet à Golfe-Juan, elle a de longues discussions avec lui sur le théâtre. Ces « voix » ne la quitteront plus. Dans « Spectres, mes compagnons », ces personnages, qu’elle a travaillés avec Jouvet, Alceste, Ondine, Don Juan, réapparaissent dans l’univers concentrationnaire et l’accompagnent, l’aident à tenir…

- Vous mettez aussi en avant la singularité de cette femme, qui ne cessa jamais le combat. Dans sa façon d’écrire, Charlotte Delbo a toujours été en contraste avec son époque. En 1974, elle sera la première intellectuelle à publier une tribune dans Le Monde, répondant à Faurisson, qui niait les chambres à gaz. Ce fut la première à répondre aux attaques négationnistes.

Pascale Auditeau

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