Ghislaine Dunant La terreur et la beauté, de Ghislaine Dunant

Ghislaine Dunant La terreur et la beauté

28 août 2016
Le Journal du Dimanche,

C’est une gare transformée en pavillon de chasse, « la plus petite gare du monde » que Charlotte Delbo acquiert quinze après son retour d’un long « long et terrible voyage » : Auschwitz-Birkenau et le camp de Ravensbrück, trois ans de déportation, de violences et de privations qui décideront de sa carrière d’écrivaine et de ses engagements multiples en faveur des opprimés. Si ses écrits trouvent d’abord écho outre-Atlantique, loin d’une France saturée de récits de guerre et pas toujours prête à entendre l’horreur des camps, son œuvre est désormais rapprochée de celle d’un Primo Levi et le centenaire de sa naissance mis au nombre des commémorations en 2013.
Issue d’une famille émigrée italienne, Charlotte Delbo est en grande partie autodidacte, tant dans son savoir que dans sa pensée politique. Sensible à l’idéal communiste, c’est pour des faits de résistance qu’elle et son mari Georges Dudach sont arrêtés en 1942 par les brigades spéciales. Lui sera fusillé, elle déportée. A sa libération en 1945, elle écrit à son mentor Louis Jouvet en quoi la littérature a été déterminante pour sa survie et ce que les camps lui ont enseigné : « Trois années de méditation avec la mort et l’espoir tout à tour m’ont donné le pouvoir d’évoquer et de susciter les êtres dans leur vérité. »
C’est ce qu’illustre avec force cette imposante biographie, qui suit le cheminement idéologique et personnel d’une intellectuelle engagée dont l’œuvre diffère, comme le souligne Ghislaine Dunant, de celle de ses consœurs Germaine Tillon, Marie-Claude Vaillant-Couturier ou encore Micheline Maurel. Charlotte Delbo avait foi en la puissance du langage pour dire l’horreur ; elle voulait, par les mots, rendre leur humanité à celles et ceux qui en avaient été privés. « Elle passera sa vie à écrire ce qui n’était pas concevable et qui fut. » Pour cela, elle use des ressorts du théâtre classique et de l’ironie dramatique, s’inspire de Claudel, « explore la terreur par la beauté ». Sous sa plume, les mains des mortes deviennent des fleurs mauves sur la neige, leurs doigts sont en « pointes d’étoiles ». Un vers d’Apollinaire donne son titre au premier récit de son calvaire : Aucun de nous ne reviendra, tenu secret vingt ans après sa libération. A la ville, Charlotte Delbo ne parlait pas de son expérience de déportée : elle était vive, enjouée, charismatique et passionnée, osait hausser le ton dès qu’une cause lui tenait à cœur. Elle se faisait un devoir de mettre à profit cette « vie retrouvée », ici magnifiquement rendue, et qu’il nous semble urgent de découvrir.
Laëtitia Favro

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