Charlotte Delbo, une vie, des mots

27 septembre 2016
La Dépêche du Midi,

Ghislaine Dunant a vécu sept ans avec Charlotte Delbo. Sept ans à relire l’œuvre de l’écrivaine née en 1913 et morte en 1985, à en étudier la puissante originalité, à rencontrer des témoins, à éplucher les archives. A l’arrivée, cela donne une imposante biographie (et plus que cela), qui cultive autant le sens du détail que l’explication limpide ; la complexité des enjeux et la fluidité du style.
« Ce livre est mon cinquième et c’est le plus personnel, insiste Ghislaine Dunant. Mes précédents étaient des romans mais c’est dans celui-ci que j’évoque le plus fortement mon monde intérieur, mes sensations, mes raisons d’écrire, mon rapport au monde. Je voulais bien sûr mieux faire connaître Charlotte Delbo. Mais aussi évoquer le pouvoir des mots, la force de la littérature. »

L’œuvre de Charlotte Delbo raconte essentiellement ce qu’elle a vu et vécu à Auschwitz puis Ravensbrück, entre 1943 et 1945. Son mari, communiste, a été arrêté et fusillé à Paris. La jeune résistante se retrouve dans le camp d’extermination nazi. Elle survivra au pire. « Les textes de Charlotte Delbo sont d’une grande violence , ils disent l’épouvante de ce qu’elle a subi mais expriment aussi un regard d’amour à l’égard de ceux qu’elle a croisés, même les agonisants. Elle cherche à savoir ce qui les nourrit à l’intérieur. »

Avant-guerre, Charlotte Delbo a été la secrétaire « de jour » de Louis Jouvet. « D’elle, il a aimé sa faculté à retranscrire parfaitement ses propos. De lui, elle a appris la rigueur, le sens des mots, le rythme des phrases. Il y a de l’affection entre le comédien-metteur en scène et la jeune femme, un goût commun pour l’exigence. Mais la rupture est vite consommée au retour des camps. Louis Jouvet est le premier à lire « Aucun de nous ne reviendra », la pièce maîtresse de l’œuvre de Charlotte Delbo, écrite dès 1946. Il n’en saisit pas l’importance et c’est un drame pour son auteur.

« Jouvet a su donner toute sa place à Genet ou Giraudoux, redécouvrir Molière, alors oublié. Mais, à l’égard des femmes, il était paternaliste. Il ne pouvait pas imaginer que sa jeune assistante puisse être un grand écrivain. »

Le théâtre de Jouvet, pourtant, a forgé l’écriture de Charlotte Delbo, épurée, tout entière constituée de tableaux qui disent l’innommable. « Aucun de nous ne reviendra » paraît en 1965, dans l’indifférence générale. Il faudra attendre les années 80 pour que l’œuvre de Charlotte delbo soit enfin reconnue. Et trois décennies de plus pour qu’un livre magnifique lui soit consacré.

Jean-Marc Le Scouarnec

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